Trois mois. Cela fait exactement trois mois que je le croise, chaque semaine, au même arrêt de bus, dans le même bus. C’est cela, j’ai bien dit bus. Sans doute trouverez-vous cela étrange de me voir dans un transport en commun aussi pitoyable, et je vous l’accorde parfaitement. Moi qui vie dans le luxe et qui pourrai parfaitement me conduire – ou bien même me faire conduire – à ma chère université, je prends l’autocar. Mais n’allez pas croire que je fais cela par pur plaisir, mais plutôt pour me mettre dans une certaine bonne humeur, qui m’accompagnera sans doute toute la journée, du simple fait de voir son visage d’ange, de dieu. Dès mon réveil, mes pensées se dirigent vers cet homme ; et cela fut pareil pour cette belle journée – tout du moins, elle s’annonçait ainsi, comme toutes les autres d’ailleurs. A peine me suis-je levé que je commençais déjà à produire mes premiers pas de danse, comme chaque matin, à la même heure. Je me dirigeai d’un pas motivé vers salle de sport, pour y faire quelque peu d’exercice, en ce début de journée déjà, avant de me mettre à cet art qui m’avait lancé dans la célébrité, bien avant l’ouverture de ma haute-couture. Et puis, je continuai ainsi ce début de matinée à me faire soigner, chouchouter par les masseurs, et autres spécialistes qui s’occupaient de mes crèmes. Quant à ma tenue, je m’en charge habituellement plus tard, choisissant avec beaucoup de goût chacune de ses parties, tant bien la chemise que les chaussures, en passant bien évidemment par les quelques accessoires qui se doivent de l’accompagner, comme une montre Rolex et une ceinture Louis Vuitton par exemple. Une fois prêt, je fais généralement appel à mon chauffeur afin qu’il me conduise jusqu’à cet arrêt de bus ; et pourtant, cette fois, c’était différent. Je ne l’avais pas appelé, informé personne de mon départ, me dirigeant simplement vers le garage afin d’y chercher ma Lamborghini Reventon Roadster, sans aucun doute ma plus belle voiture, mon bijoux, mon joyau. Si j’avais choisi cette voiture et pas une autre, c’était pour une bien simple raison : je comptais récupérer celui qui envahissait mes pensées, à l’arrêt de bus, en trouvant un bon mensonge pour qu’il vienne avec moi. Et celui-ci, j’y penserai sûrement en roulant jusqu’au lieu voulut ; et je savais bien qu’il y croirait, qu’il rentrerait parfaitement dans mon jeu comme le petit chaperon rouge entre dans celui du loup. Et là, sans doute vous dites-vous « Mais comment peut-il en être aussi sûr ? » et puis, je devrai bien vous répondre, mais pourtant, je ne le ferai pas. Sans raison, oui ; après tout, d’abord faudrait-il que je sache quoi vous dire, et ce n’est malheureusement pas le cas. Grimpant dans ma décapotable, un tas d’idées parcouraient mon esprits, tant de choses plus étranges les unes que les autres ; mais là encore, aucun besoin de vous dire tout ce qui aurait pu me déconcentrer durant ma journée. Certains auraient pu qualifier cela comme du stress, celui qui vous assure d’être arrivé près d’un certain but, et en l’occurrence, ici, c’était sans doute le fait de réussir à l’approcher proprement, au contraire de toutes mes mauvaises habitudes. Certaines idées d’approche m’envahissaient elles aussi, et j’en retins une. Une seule, une unique. Celle qui pourrait paraître plus vraie qu’une autre. Et ne me demandez pas à présent de vous la compter, vous la retrouverez bien après, soyez patients.
Une surpopulation. Une trop forte circulation. Tout cela provoquait des bouchons, et j’aurai cru arriver trop tard pour l’attraper. Mais finalement, à quelques mètres seulement de l’arrêt de bus, ralenti par certains passants trop pressés, je pouvais l’apercevoir. Je pouvais le voir. Il était de toute beauté, bien plus encore que magnifique. Sublime. Sans même le connaître, à sa simple vue, je savais déjà qu’il était un être extraordinaire, malgré son air froid. Aussi froid que l’Alaska. Voire bien plus encore. Entre deux regards, je guettais toute arrivée plausible de l’autocar ; et si cette soudaine arrivée avait été réelle, tout mon plan aurait été fichu. Comment aurai-je alors pu faire pour le prendre avec moi afin de le déposer moi-même au lieu voulu si ce dernier débarquait ? Tout cela n’aurait été qu’une illusion. Mais à mon plus grand bonheur, il semblait être quelque peu en retard, et j’approchais un peu plus vite à ce fameux arrêt à présent. Je le voyais bien, malgré la foule qui se trouvait là, il était bien loin de passer inaperçu au milieu de tous ceux-ci. Me retrouvant finalement devant lui, stoppé sur un emplacement où je n’aurai pourtant pas dû, j’ouvris ma portière et sortis de la voiture, observant cet homme du coin de l’œil. Je fis finalement le tour de la voiture avec la plus grande des classes, et m’approchais de lui. Je pris un air plutôt sérieux, afin de réellement passer pour celui que je disais être, et pris la parole une fois devant lui, lui prenant lentement le poignet : « Ton… Votre père m’a demandé de venir vous récupérer sur mon trajet, aillant été informé du retard de votre bus. » Ainsi, je le tirais lentement vers le cabriolet, ouvrant délicatement la portière pour le faire s’installer. Il fallait que je fasse tout pour ne pas passer pour un clown de première catégorie. Et je pus facilement remarquer tous ces regards braqués vers nous, espérant simplement que personne n’allait… « C’est monsieur Nahm ! C’est lui, regardez ! » faire cela. Exactement cela. Et j’avais cette impression qui m’amenait à penser que mon plan, mon magnifique plan avait été gâché par un groupe de femme sans morale, sans doute en manque d’hommes. Et je fis pourtant mon possible pour ne pas réagir à tout cela.

Croyiez-vous en cette chose appelée « coup de foudre » ? La grande majorité des gens disent que cet instant idyllique de l’amour n’existe pas. Que ce n’est qu’une chose futile, faite pour les jeunes filles rêvant du grand et beau Prince Charmant. Que tomber amoureux d’une personne, après un simple regard, sans rien connaître de celle-ci, est impossible. Pourtant, je suis la preuve vivante que cela existe. Excepté son nom, je ne connais rien de lui. Je vais paraître davantage stupide, j’en ai bien conscience, mais ce n’est pas tout. En plus d’avoir eut ce coup de foudre pour cet homme avec qui je n’ai jamais parlé, c’est quelqu’un de connu. Très connu même, dans le domaine de la mode. Un jeune et très talentueux styliste. Oh, je sais très bien ce que vous vous dites ! Que je suis bien puérile de croire que quelqu’un de célèbre me rendra un jour mes sentiments. Que ce n’est qu’une pure utopie. Je n’ai parlé à personne de cette histoire. Ni ma famille, ni mes amis. Pourquoi ? En grande partie car je cache mon homosexualité, mais également car je ne veux pas que l’on me montre du doigt. Je rêve trop, certainement, mais je ne peux faire autrement. Les sentiments amoureux, cela ne se contrôle pas. Mon cœur l’a choisit, et je ne peux aller contre sa décision. Et je suis vraiment, vraiment fou de lui. Je ne rate aucunes des rares diffusions de ses défilés, ni aucune de ses interview. J’aime tout chez lui. Son délicat visage, sa voix enivrante, son sublime sourire. Et son talent de styliste, également. J’ai réellement l’impression d’être dans l’un de ses contes de fées pour enfants. Moi, je suis telle la jeune et naïve princesse, totalement éprise de son magnifique prince. Mon petit monde devient de plus en plus rose, grâce à lui. Et ce depuis trois mois. Oui, notre première rencontre date aux alentours de cette période. A vrai dire, jamais je n’aurai cru que je rencontrerais mon premier amour dans un bus. Oui, j’ai bien dis un bus. Pour remettre la situation en place, je prends le même bus tous les jours, pour m’amener à l’université. Et, pour une raison qui m’est inconnue, je le vis monter un matin. Et de suite, j’ai sentis un frisson traversé mon corps. Avec seulement un rapide regard échangé, il me fit littéralement tombé sous son charme. Depuis, tous les jeudis, il prend ce même bus, avec moi, et nous sommes un bon moment seuls dedans. Et je dois bien avouer qu’à chaque fois, je rougis comme un imbécile, et je me retiens de le regarder, même si mon regard glisse quelques fois sur lui. Diantre, je l’aime.

En retard. J’étais bel et bien en retard. Alors que mon croissant était coincé entre mes lèvres, je me pressais d’enfiler mes vêtements, soit un débardeur sans manches blanc avec une chemise pastel par-dessus et un slim bien noir. Niveau coiffure, je me les ébouriffai simplement, n’ayant vraiment pas le temps de m’attarder sur des détails pareils. Prenant portable, besace et enfilant mes converses, je dévorai rapidement mon croissant, manquant même de m’étouffer avec. Et après avoir refermé ma maison, je piquai un sprint en direction de l’arrêt de bus, priant pour ne pas le rater. Et c’est avec soulagement que je vis d’autres personnes attendre le bus ou même le tramway. Reprenant mon souffle, je me faufilai entre les personnes présentes, repérant rapidement mes « compagnons de voyage ». M’étirant longuement, je regardai alors l’heure : j’étais tout juste à l’heure, à croire que notre bus était en retard. Puis, d’un coup, tous les regards se tournèrent sur une voiture qui arrivait par ici. Ne m’y connaissant pas du tout, je peux seulement vous dire que c’était une vraie voiture de riche, qui devait valoir des millions. J’haussai un sourcil en la voyant d’arrêter devant moi, et regardai alors le conducteur. Et le reconnaissant, mes joues se tintèrent en une délicieuse couleur rosée. Le suivant du regard, mon cœur s’emballa un peu plus en le voyant sortir, et s’approcher de moi. Non, impossible. Je devais rêver. Keshawn. Nahm Keshawn s’avançait vers moi, avec l’un de ses sublimes sourires qui me faisait tant craquer. Et je ne fis même pas attention à ses dires, car il me prit le poignet pour me faire s’asseoir dans son cabriolet. Mon Dieu. Rougissant telle une belle tomate, je me laissai entièrement faire, plus que surprit de cette initiative totalement irréelle. Serrant ma besace contre moi, je sentis la voiture démarrer, et mes joues ne pas dérougirent. Il a très certainement dut me prendre pour un idiot, à être ainsi, si gêné, tel un enfant. Mais en réalité, je tentais de calmer les rapides battements de mon cœur, pendant que l’enivrante odeur de mon vis-à-vis venait caresser mes narines. J’allais devenir fou. Mais la phrase qu’il avait prononcée plus tôt me revint. Mon père l’avait fait venir ? Je compris de suite qu’il jouait un rôle, sachant très bien qui il était. Mais je ne dis rien. Ma terrible curiosité fut piquée : pourquoi avait-il mentit pour me faire monter dans sa voiture ? Avait-il peur que je refuse ? Comment aurai-je pu. Pour rien au monde j’aurai décliné une telle offre. Mes pensées commencèrent alors à partir dans tous les sens, et rien de m’aidait à me calmer. Alors, j’ai préféré rester silencieux, baissant la tête en jouant nerveusement avec mes mains. Je priais par la même occasion pour que mes joues reprirent leur couleur normale, mais en vain. Je déteste cette timidité. J’avais tant à lui dire, mais j’étais bloqué. J’allais tout gâché, et je le savais très bien. Un bel idiot. Allait-il m’en vouloir de ce silence qui s’installait entre nous… ?